Avons-nous si peur du vécu humain?

Avons-nous si peur du vécu humain?

Il est par exemple facile de confondre la « maladie mentale » avec des défis psychologiques normaux. « La détresse quotidienne transformée en trouble mental représente la réalisation d’un rêve pour le marketing. La puissance du marketing des sociétés pharmaceutiques, de l’internet et des organisations de patients ont engendré un nombre de fausses épidémies, de modes en matière de diagnostics psychiatriques » a déclaré Allen Frances, psychiatre et président des comités de travail du DSM-IV.

 

Dans les faits, qu’est-ce qu’une maladie mentale? Le DSM-V définit la maladie mentale comme étant« un syndrome caractérisé par des perturbations cliniquement significatives dans la cognition, la régulation des émotions, ou le comportement d’une personne qui reflètent un dysfonctionnement dans les processus psychologiques, biologiques, ou développementaux sous-jacents au fonctionnement mental ».

Pour établir sa validité, une maladie doit présenter des signes, des symptômes qui se retrouvent de façon régulière, et ils doivent être liés à une dysfonction physiologique démontrable.

Rappelons que tout diagnostic psychiatrique est subjectif. Les théories dominantes des dernières années sont principalement basées sur des déséquilibres des neurotransmetteurs. Mais, nous sommes toujours en quête de dysfonctionnements cérébraux, de gènes, de neurotransmetteurs permettant d’expliquer objectivement des symptômes donnés. Aucun marqueur biologique ou génétique pour lesdites maladies n’a été découvert. Toutes théories à l’heure actuelle ne sont encore que des théories, des idées, des perspectives non scientifiquement démontrées.

Les diagnostics et la médicamentation subséquents qui sont émis sont-ils alors basés strictement sur la science ou sont-ils plutôt le reflet de ces nombreux biais sociétaux, émotifs, contextuels, financiers ?

Qui parle de maladie et de trouble neurologique devrait donc le faire avec grande prudence, sans quoi, nous risquons de stigmatiser la diversité humaine ET de réduire la souffrance, les émotions humaines, à des déséquilibres chimiques du cerveau.

Et là, il ne s’agit pas d’affirmer que ce qui n’est pas scientifiquement prouvé n’existe pas. Les signes, les traits, les troncs communes de diversité humaine sont présents et ils existent. La souffrance humaine existe également. Il y a des signes, des critères, des symptômes identifiables et ressentis. Il ne s’agit aucunement de crier à l’acceptation de la diversité neurologique et de laisser un être humain dans la souffrance de sa singularité lorsqu’il n’est pas compris de son entourage. Il ne s’agit ici aucunement de nier ni de banaliser l’énorme souffrance que vivent ces personnes. Les symptômes et la souffrance sont bien réels. Mais, il s’agit d’un appel à la prudence et d’un appel à l’ouverture d’esprit, à l’écoute, à la réflexion. Quels impacts avons-nous sur les « maladies mentales »? Se pourrait-il que nous ayons une part de responsabilité culturelle et sociale sur les symptômes de certaines « maladies » ou des troubles de comportements qui en découlent?

Pour ma part, je suis toujours étonnée et touchée, lorsqu’à la suite de la lecture de mon premier livre sur l’autisme, des gens m’écrivent des messages pour me parler de leur détresse. Des messages spontanés où l’émotion est palpable. Des messages où l’on perçoit le mal de vivre avec un certain soulagement de se sentir enfin compris. Ce n’est pas normal que la diversité humaine ainsi que la détresse qui en découle soit aussi méprisée, dénigrée, troublée, médicalisée. Ce n’est pas normal que, collectivement, nous préférons croire en la maladie mentale, aux troubles neurologiques  plutôt que de prendre le temps d’écouter et comprendre l’être humain.  Aucun être humain ne mérite d’être étiqueté « malade mental » et de voir sa douleur réduite à un déséquilibre de ses neurotransmetteurs.

En utilisant un discours médical démesurément, on est devenu de plus en plus intolérants et insensibles à la détresse humaine. Il est devenu plus facile de faire croire aux personnes qu’elles ont un trouble et que les médicaments stabiliseront leur cerveau dysfonctionnel. Que la molécule chimique ne soit simplement pas la bonne pour leur profil génétique lorsqu’en réalité, la détresse n’arrive plus à être engourdie par cedit médicament.

Avons-nous si peur du vécu humain? Parce qu’au travers ces brides de confidences que m’écrivent ces personnes, pas une fois leur mal de vivre ne semblait ne pas trouver racine et émerger de leur vécu, de leurs blessures, bien plus que dans une pseudo affection mentale. On attribue à la personne, à son cerveau dysfonctionnel, ses émotions démesurées et ses comportements irrationnels plutôt que de concevoir ces agissements comme des réponses attendues et normales par rapport aux circonstances sociales et de son histoire de vie. La médicalisation des étapes normales de la vie, des conflits intérieurs et de la détresse semble être le résultat d’une société qui n’a aucune idée de comment accueillir les émotions humaines et qui semble surpassée par des étapes normales de développement de la vie, par la relation humaine authentique.

Il est donc très délicat d’attribuer les causes des « maladies mentales » qu’à la neurologie et/ou à la génétique défaillante. Se focaliser essentiellement sur des « causes » biologiques pour les troubles mentaux est une grave erreur. D’une part, la diversité neurologique semble rejetée et les individus atypiques, comme les autistes, sont ainsi stigmatisés. D’autre part, on ne peut pas séparer la biologie des comportements et des émotions qui forment un tout, sans risquer de réduire la souffrance d’un être humain à un cerveau déréglé et troublé.

 

Mélanie Ouimet

Extrait de la conférence : La neurodiversité, plaidoyer pour la diversité humaine et pour son avenir

TDAH : l’urgence d’un changement de paradigme

TDAH : l’urgence d’un changement de paradigme

Aujourd’hui, nous assistons à la dérive du paradigme médical. Un modèle pour lequel l’originalité, les étapes de vie, les défis, la détresse et la souffrance humaine sont bien rapidement considérés comme des affections psychiatriques.

 

Le 31 janvier dernier, dans une lettre ouverte[1], 48 professionnels, dont 45 pédiatres dénoncent la surmédicamentation des enfants québécois ayant reçu un diagnostic de TDAH et sollicitent la réflexion collective.

La neurodiversité [2]et nous, en tant que militants du mouvement, soutenons cette lettre ouverte et appelons à un changement de paradigme.

Statistiquement parlant, à l’heure actuelle 23%[3]des adolescents ont reçu un TDAH et 17% ont reçu un trouble anxieux[4]. Ces chiffres alarmants ne tiennent pas compte des autres « troubles psychiatriques » comme l’autisme, la bipolarité, la dépression, les troubles alimentaires, etc.

À l’époque où la science nous démontre que le développement d’un être humain est un processus variable et unique, ces dernières statistiques devraient nous inquiéter et nous amener à réfléchir sur notre conception de la normalité, sur les standards de développement des enfants, sur l’uniformisation de l’enseignement, sur notre mode de vie, sur la performance ainsi que sur nos attentes personnelles.

Les fondements théoriques du modèle médical sont majoritairement basés sur une approche neurologique et génétique selon laquelle le cerveau est rapidement considéré comme dysfonctionnel lorsque des défis sont rencontrés. Il est d’emblée admis que les enfants en difficulté souffrent d’un trouble neurologique, en l’occurrence ici, d’un TDAH.

Collectivement, nous en sommes venus à justifier, voire à idolâtrer le modèle médical qui vient apaiser éphémèrement la détresse et déculpabiliser en masquant le manque de connaissances et d’outils alternatifs, laissant l’illusionnisme d’avoir somme toute agi pour le mieux-être. Cela, non sans risque pour ces jeunes concernés pour qui leur problématique est transformée en trouble mental.

À l’heure actuelle, notre société voue un culte à ce modèle biomédical, dominant et bien ancré dans nos mentalités, brimant notre sens critique. Nous tendons à prendre ces théories sur les troubles neurodéveloppementaux pour acquises. Mais, une question est rarement posée : quelle est la validité de ces troubles d’apprentissage ? Personne ne détient cette réponse. Affirmer le contraire serait une grave erreur scientifique et éthique.

N’oublions pas que dans les faits, nous nous basons simplement sur des observations, des listes de critères subjectives, sur ce que nous appelons « troubles du comportement » pour émettre un diagnostic psychiatrique. Aucun marqueur biologique ne permet d’assurer la validité dudit diagnostic émis. En ce sens, tout diagnostic neurologique émis demeure subjectif. Ceci ne veut pas dire que la diversité neurologique n’existe pas ni que la détresse n’est pas présente. Ceci veut simplement dire que les évaluations psychiatriques comportent des limites humaines et scientifiques quant à la fiabilité, d’autant plus lorsqu’on met l’accent sur le dépistage précoce des enfants en âge préscolaire. La recherche nous apporte d’ailleurs certaines réponses concernant la validité de ces outils de dépistages[5]. Le risque de mal interpréter les comportements est énorme. Le risque de s’enfermer dans un diagnostic ou dans une difficulté donnée et d’y réduire l’enfant à ces derniers est réel et préjudiciable.

De plus, nous ne tenons que très rarement compte de l’environnement dans lequel l’enfant évolue. L’accent est excessivement mis sur la vision médicale. Dès qu’un enfant éprouve des difficultés, rencontre des défis, a certaines lacunes, nous croyons immédiatement qu’il a un trouble quelconque. Nous ne remettons que très peu souvent les méthodes d’apprentissage en doute ni le contexte familial dans lequel le jeune grandit. Des facteurs qui influencent pourtant considérablement ses comportements et ses émotions, dont sa concentration et son hyperactivité en classe.

Sommes-nous devenus à « pathologiser » ni plus ni moins des comportements normaux humains; à pondérer l’enfance ? La profession médicale outrepasse-t-elle sa vocation? Il semblerait qu’au-delà d’apporter des soins aux individus, l’institution médicale s’attribue le droit de définir le concept de normalité et par conséquent, de définir ce qu’est un être humain normal. Cette transgression médicale est la force motrice derrière cette immodération de la solution pharmacologique.

La neurodiversité[6] et nous, en tant que militantes du mouvement, dénonçons  cette médicalisation des émotions et des comportements humains qui en découlent.

Le concept de la neurodiversité apporte ce changement dans la manière dont d’une part, nous considérons le fonctionnement cognitif et d’autre part, sur nos méthodes de soutien envers les jeunes – et adultes – rencontrant des défis. Le gouvernement caquiste a annoncé récemment que70 à 90 millions $ seraient investis au cours des deux prochaines années pour la détection des retards de développement chez les enfants. Vraisemblablement, ces mesures de dépistages précoces enrichissent cette force médicale dans un engrenage clinique qui est déjà hors de contrôle. De plus, par exemple, « il est bien documenté que les diagnostics précoces – en autisme – sont plus à risque de ne pas être confirmés par l’évolution de l’enfant (Turner & Stone, 2007), puisqu’un tiers des diagnostics portés avant 24 mois s’avèrent ultérieurement inexacts.[7] » Le risque de confondre immaturité cérébrale avec un trouble est énorme.

Une annonce donc plus qu’inquiétante considérant cette surmédicamentation et le manque de ressources humaines pour accompagner ces jeunes dans une approche humaine ayant en compte la situation unique globale de ceux-ci. Tel un ordinateur comprenant trop d’erreur dans le programme (un bogue), le gouvernement semble appeler au formatage des enfants. Dans cette optique, nous interpellons le ministre délégué à la Santé, Lionel Carmant, afin que ces dernières mesures annoncées soient réévaluées.

Par ailleurs, nous soulignons l’importance de ne pas transférer la problématique c’est-à-dire de transformer le « TDAH » en d’autres troubles psychiatriques immuables. Par exemple, les troubles du comportement et les troubles anxieux semblent être mis de l’avant pour expliquer les problématiques des jeunes. Certes, ces défis sont bien réels et les problématiques doivent être prises au sérieux. Mais, n’en faisons pas des troubles mentaux ! Essayons de développer des stratégies, des compétences, des ressources pour nos enfants. Accompagnons-les avec bienveillance. L’anxiété par exemple, fait partie de la vie : la réaction au stress est par ailleurs inévitable. Mais, il est possible d’apprendre à la canaliser et d’en tirer profit pour nous propulser plus loin au quotidien et ainsi, développer la résilience.

Au-delà des nombreuses sources extérieures pouvant perturber la concentration laissant croire à un « TDAH », nous oublions l’essentiel : la diversité humaine. Ces personnes excentriques, originales, créatives, intuitives qui ont toujours existé ainsi et dont notre société actuelle a de plus en plus tendance à stigmatiser sous des diagnostics psychiatriques dont les troubles neurodéveloppementaux.

Nous avons tous une part de responsabilité. Et si nous prenions le temps de comprendre l’origine des comportements qui nous dérangent ? Et si nous prenions le temps pour découvrir qu’un changement dans nos approches pourrait établir une harmonie dans nos relations interpersonnelles ? Et, si finalement, nous acceptions que la normalité soit un mythe construit à partir de la souffrance de ceux qu’on soumet ? Nous demandons d’ouvrir le dialogue avec toutes les parties concernées, sans exclure les personnes ayant reçu un diagnostic. Pour que l’investissement soit fait de manière efficace sans trimballer les erreurs du passé.

 

Signé Lucila Guerrero, Mentore de rétablissement en santé mentale et Mélanie Ouimet, fondatrice de La Neurodiversité.

 

Références  :

[1]https://www.journaldequebec.com/2019/01/31/tdah-et-medicaments-sommes-nous-alles-trop-loin

[2]http://neurodiversite.com

[3]Institut des statistiques du Québec

[4]Ibib

[5]Sommes-nous tous des malades mentaux ? La vérité sur le DSM-5, ODILE JACOB, Allen Frances, 2013

[6]http://neurodiversite.com

[7]L’intervention précoce pour enfants autistes, Laurent Mottron, MARDAGA, 2016

8 Caitlin M. Conner, Ryan D. Cramer et John J. McGonigle

9 https://www.inesss.qc.ca/fileadmin/doc/INESSS/Rapports/ServicesSociaux/INESSS_CoupDoeil_TDAH.pdf?fbclid=IwAR2_ru-VhaXP9EiXktIxVDTQ4O1g4QV5mqM-jUWNH169PuZigJ2sy5vBpJo

10 https://www.ledevoir.com/opinion/idees/547952/une-lecture-sociologique-du-tdah?fbclid=IwAR14ChRtiGsrTuzU_Go5c-hacHn1grnSI3pPwbIFzTuzJAKTl6lLXZjYNwc

11 https://www.inesss.qc.ca/fileadmin/doc/INESSS/Rapports/ServicesSociaux/INESSS_CoupDoeil_TDAH.pdf?fbclid=IwAR3-v2_WX2iORp_ojwri1IWaYRn_Y1NCSX7SexaqUPDELGzqWh46r03gDVs

12 https://secure.cihi.ca/free_products/choosing-wisely-baseline-report-fr-web.pdf?fbclid=IwAR3nP-9wA7M7vzznmW2SmV5BxCxEkJjbgBTZGov2EIMN1aC3mXTXK7FVqHY