Troubles graves du comportement ou mécanismes d’adaptation mal compris? – Partie 2

Troubles graves du comportement ou mécanismes d’adaptation mal compris? – Partie 2

Des mécanismes d’adaptation pour tempérer des sensations corporelles intenses

 

Lorsque les sensations corporelles intenses sont engourdies ou que la perception du Soi éclate en mille morceaux plusieurs mécanismes d’adaptation se mettent en place instinctivement par le cerveau pour tempérer le malaise interne ressenti par la personne.

Par exemple, quand une personne se gratte jusqu’au sang, cela peut être pour diminuer l’engourdissement qu’elle ressent. Elle ne sait pas nécessairement pourquoi elle le fait ni même comment elle se sent. C’est un mécanisme instinctif et qui apaise la personne. Aussi étrange que cela puisse paraître, l’automutilation apporte souvent un grand soulagement à la personne. La personne veut ressentir, et pour contrecarrer son engourdissent, son mécanisme de survie est de se gratter pour ressentir et se sentir à nouveau en vie.

Nous retrouvons similairement ce même mécanisme de survie lors d’un épisode d’effondrement. Lorsque certains autistes par exemple reçoivent trop de stimuli, leur cerveau est sous tension. Quand l’anxiété est si forte et que la personne est coincée, sans possibilité de « lutter » ou de « fuir », elle se retrouve immobile et prise au piège devant une situation qui échappe à son contrôle. L’anxiété devient paralysante, le cerveau coupe les sensations ressenties dans le corps et la perception du Soi disparait progressivement. L’amygdale s’active et déclenche la sécrétion d’hormones qui activent à leurs tours les mécanismes de survies. À ce moment, la réflexion et le recul sont impossibles. Le cortex préfrontal est déconnecté pour privilégier l’instinct : le mode survie domine. La fragmentation, cette impression que tout s’effondre autour de soi, est un mécanisme de protection que notre cerveau utilise pour se protéger et il est essentiel à notre survie[1].

Comme le cerveau des autistes a un fonctionnement perceptif prépondérant, la fragmentation est possiblement beaucoup plus fréquente que pour les non-autistes. En autisme, on parle alors de repli autistique et d’effondrement autistique. Ces deux états de crise sont provoqués par des surcharges émotionnelles, cognitives, relationnelles et sensorielles. Le flot informatif (les stimuli) est beaucoup plus important puisque les aires sensitives sont sur-connectées. Plus une personne reçoit des stimuli, plus le stress augmente. Puisque le cerveau des autistes perçoit beaucoup plus de détails, la fragmentation devient vraisemblablement plus intense. Les autistes sont des êtres hypersensibles à tous les stimuli internes et externes.

Les personnes qui s’automutilent cherchent désespérément à se sentir mieux et elles n’arrivent pas à gérer autrement cette souffrance qu’elles éprouvent. L’automutilation est un mécanisme d’adaptation négatif. Pour certaines personnes, les comportements d’automutilation surviennent lorsque des sensations trop intenses sont ressenties dans leur corps et les blessures infligées sont souvent représentatives de sa détresse. En plus, l’automutilation est particulière chez les autistes. Ainsi, tel qu’on peut le lire dans un jugement du Tribunal canadien des Droits de la personne, « Selon le DrLaurent Mottron, les blessures auto-infligées sont la réponse la plus extrême à une impasse psychologique pour laquelle il n’y a aucune solution. Il s’agit d’une réponse à la désorganisation du monde. C’est une façon pour une personne autiste de répondre aux situations négatives, alors qu’une personne qui n’est pas autiste démontrera de la colère». Selon la même source, Laurent Mottron affirme que « les personnes autistes apprennent comment gérer leurs réactions en se fiant, par exemple, à un endroit sécuritaire où elles peuvent aller, où elles peuvent s’éloigner de situations stressantes et qu’il est alors possible pour les autistes de composer avec des événements très difficiles, même si ceux-ci provoquent de fortes réactions. Il souscrit aussi à la déclaration selon laquelle« si une personne autiste sait qu’elle peut avoir recours à son mécanisme d’adaptation dans une situation de stress, il devient alors peu probable, et même improbable, qu’elle se trouvera en situation de difficulté.» Pour contrer la sensation de confusion profonde qui habite la personne, pour contrer l’impression que l’esprit vole en mille éclats et pour demeurer ancrée dans le moment présent en conservant un certain contrôle de la situation, la personne autiste (comme non-autiste) peut se frotter vivement les mains ensemble ou sur les cuisses jusqu’à se frapper la tête. Au niveau physiologie, la stimulation cutanée tempère le stress et l’anxiété[2] et c’est d’ailleurs ce que suggère l’acupression[3]. Plusieurs points de relaxation sur notre corps peuvent être touchés en cas de crises d’anxiété et de panique afin de calmer nos amygdales et détendre nos muscles. Lorsqu’on brime une personne de ces gestes pour calmer son anxiété, celle-ci augmente et se transforme en angoisse et l’état de fragmentation augmente. La tête particulièrement est le dernier endroit que le corps ressent quand il est en état de détresse profonde[4]. Ainsi, se frapper à cet endroit devient nécessaire pour tempérer l’angoisse insoutenable et pour se ramener dans le moment présent. C’est un mécanisme de survie naturel et instinctif, mais non sans risque lorsque ce mécanisme est incompris et que les approches sont mal adaptées[5].

Dans tous les cas, il est possible de travailler à obtenir une meilleure perception de son corps et du Soi en ayant une approche psychodynamique de l’être humain et de considérer le mouvement, les rythmes, les actions et les sensations. Le mouvement par exemple aide à mieux sentir son corps. D’ailleurs, une émotion est un mouvement physiologique dans le corps et c’est donc par le mouvement qu’elle s’exprime et « s’évacue du corps ». Lorsque les émotions ne sont ni verbalisées ni extériorisées par le mouvement, le corps demeure sous-tension : la charge émotionnelle demeure dans le corps puisqu’elle n’a pas pu être déchargée. Lorsque les charges émotionnelles s’accumulent, le corps devient en permanence sous tension et nous avons de plus en plus de difficulté à identifier nos émotions puisque nous éprouvons de moins en moins nos sensations et nous perdons la perception intégrale du Soi et le sentiment de nous sentir pleinement vivant. Les mécanismes innés et instinctifs de survie sont enclenchés afin d’enrayer le malaise interne que la personne ne peut nommer et identifier seule et de maintenir un certain équilibre de l’organisme. C’est de cette manière que plusieurs comportements perturbants peuvent survenir, allant de la simple bougeotte jusqu’à la masturbation en public. Le comportement compense le malaise. Pour ces raisons, il est toujours primordial de comprendre le sens et de trouver la racine profonde du comportement si nous souhaitons véritablement aider la personne et favoriser son autonomie et son indépendance. Il est trop facile d’attribuer ces comportements à un simple caprice, à de la manipulation ou à un trouble neurologique immuable.

Les approches psychodynamiques prennent en considération l’être humain dans son intégralité et tiennent compte autant de la neurologie, de la biologie, de la physiologie de l’être humain pour comprendre les comportements sans les réduire à de simples déséquilibres cérébraux. Il devient alors possible, dans un environnement chaleureux, bienveillant, empathique, de créer un espace sécuritaire qui permettra à la personne aux prises avec des comportements dérangeants et une souffrance corporelle et psychique de mieux ressentir ses sensations, de libérer ses tensions accumulées et ainsi d’avoir une meilleure perception du Soi[6]. Le mouvement (jouer librement pour les enfants), la respiration profonde, le yoga, la méditation, l’acupuncture, la pleine présence sont entre autres des méthodes à explorer qui permettent de calmer les amygdales du cerveau, d’être mieux ancré dans le moment présent et de prendre conscience des sensations éprouvées dans notre corps.

 

Mélanie Ouimet

Références :

[1] http://neurodiversite.com/effondrement-autistique-et-automutilation/

[2]Joël Monzée, collectif Neurosciences et psychothérapie, convergences ou divergences?, LIBER, 2009

[3]Bessel van der Kolk, Le corps n’oublie rien, le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme, ALBIN MICHEL, édition française 2018

[4] Jack Lee Rosenberg, Le corps, le soi et l’âme, QUÉBEC AMÉRIQUE, 3e trismestre 1989

[5]Mélanie Ouimet, Les neurosciences sociales et affectives : l’union entre sciences cognitives et psychothérapie?, dans la neurodiversité, plaidoyer pour la reconnaissance positive diversité humaine et pour son avenir, édition France, PARENTS ÉCLAIRÉS, septembre 2019

[6]Bessel van der Kolk, Le corps n’oublie rien, le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme, ALBIN MICHEL, édition française 2018

Troubles graves du comportement ou mécanismes d’adaptation mal compris? – Partie 1

Troubles graves du comportement ou mécanismes d’adaptation mal compris? – Partie 1

 

La perception du Soi : une piste explicative pour certains comportements dérangeants

 

La perception du Soi est un concept complexe et c’est un long processus qui débute à la naissance avec le contact des autres, puisque la perception de son corps et un sentiment distinct du Soi, est en interdépendance avec l’autre. Jean-Pierre Yvernaux mentionne qu’« à la naissance, notre corps est pris dans un rythme relationnel avec le corps d’autrui. Nous éprouvons notre corps par l’expérimentation du corps d’autrui dans la relation. Nous l’éprouvons aussi à partir de l’expérimentation de notre propre corps avec le temps, l’espace et le monde des objets. [1]» C’est ainsi, dit-il, qu’un dialogue tonique s’installe avec les signaux émotionnels et moteurs de l’adulte qui en prend soin. Le bébé, et ensuite l’enfant construira sa perception du Soi, avec son environnement et lui fera éprouver des sensations internes et externes. Les mouvements émotionnels qui se créent, charge- tension-décharge, construisent petit à petit son enveloppe corporelle et développent ses facultés cognitives. Antonio Damasio démontre par ailleurs le rôle que le corps et les émotions jouent dans le développement de notre intelligence[2]. L’être humain possède des systèmes émotionnels préprogrammés essentiels à la survie[3].

C’est en relation avec l’autre et l’environnement que les émotions surviennent et ce sont les mouvements émotionnels qui éveillent les sensations dans le corps et que la perception du Soi s’installe progressivement. Les émotions permettent la survie de l’individu et de maintenir son intégrité. La construction des circuits neuronaux n’est donc pas la simple résultante d’une biologie prédéterminée : le cerveau n’est pas un système distinct et indépendant de ce que nous éprouvons. Lorsque nous attribuons des troubles purement neurologiques aux comportements, nous omettons cette part importante émotionnelle, donc la charge affective qui a servi à construire ces circuits neuronaux[4] Nous ne pouvons pas modifier le cerveau que par des thérapies cognitivo-comportementales qui ne prennent pas en considération les émotions ou qui en demandent une maitrise par l’individu sans tenir compte de la manière dont sa perception du Soi a été construite au fils des années.

La perception du Soi est clairement définie lorsqu’il y a un équilibre entre les tensions internes et externes. Ils nous arrivent tous à certains moments de se fragmenter et de perdre pour plusieurs raisons, la perception intégrante du Soi. Lorsqu’un bébé ou un enfant subit de la négligence ou de la maltraitance et que ses besoins fondamentaux ne sont pas comblés, lorsque les émotions sont réprimées, lorsqu’une personne subit un grand stress, lorsque nous vivons des émotions fortes, lorsqu’une personne subit un traumatisme, etc., le corps se crispe et le cerveau envoie un message pour couper les ressentis trop intenses. C’est un mécanisme de défense pour la survie commune à tous les êtres humains pour ne plus ressentir l’insupportable souffrance. Quand cela est fait de manière répétée, nous perdons la perception intégrale du Soi et certains défis, plus ou moins graves, peuvent s’installer à court, moyen ou long termes[5] Nous avons tous des défis à ce niveau et pour certains, avoir pleinement conscience de leur corps et du Soi est plus difficile selon les différents événements vécus dans leur vie. Ces défis semblent plus importants pour les autistes possiblement puisque les autistes ont un fonctionnement perceptif préférentiel (Étant des êtres plus perceptifs, ils sont plus facilement envahis par le flot de stimuli qui est plus élevé pour eux que la moyenne des gens. La perception du corps peut être plus difficile à s’installer à la naissance ou en court de route). C’est pourquoi il semble si important d’offrir un environnement bienveillant dans lequel l’enfant autiste pourra s’épanouir sans contrainte inutile de ses gestes, mouvements et jeux libres ainsi que des relations affectives respectueuses de son rythme qui pourront le réguler lors de ces excès plus intenses de stimuli.

Le nerf vague qui unit le cerveau, le corps et l’esprit fait en sorte que nous ressentions des douleurs physiques viscérales lorsque nous éprouvons des émotions fortes et intenses. Le nerf vague communique avec le cerveau, le cœur, les poumons, l’estomac, les intestins, etc. engendre ces douleurs physiques[6]. Plusieurs troubles en santé mentale découlent de cette souffrance physique extrême, que notre cerveau tente de réguler par des mécanismes de défense en passant de la dépendance aux substances à l’automutilation. Il ne s’agit donc pas de comportements liés à une dite maladie mentale, mais bien de comportements physiologiques dont l’excitation (hyper ou hypo) doit être régulée. Pour ce faire, les rapports sociaux se doivent d’être mis au cœur de nos approches. Ne l’oublions pas, l’homme est un mammifère social et son cerveau est construit pour vivre en relation avec les autres. Comme le mentionne Bessel van der Kolk, « si on regarde au-delà de la liste de symptômes qui reçoivent des diagnostics psychiatriques, on s’aperçoit que chaque souffrance psychique ou presque, inclut des difficultés soit à créer des relations stables et satisfaisantes, soit à réguler l’excitation (par exemple chez les gens qui, régulièrement, piquent des crises, se ferment, sont surexcités ou désordonnés). » Ainsi, comme il nous le rappelle également, pouvoir se sentir en sécurité avec les autres est primordial à notre santé mentale.

De nombreux autistes, par exemple, ne ressentent pas la faim, d’autres la douleur physique, d’autres les émotions, etc. C’est comme un engourdissement de leur corps. La douleur est présente dans le corps, mais le cerveau coupe la sensation. Ce n’est pas l’autisme en soi, mais le nombre de mauvaises interventions subies au fil des années par manque de connaissance ont créé plusieurs problématiques en lien avec une mauvaise perception du corps. De grands défis associés à l’autisme découlent donc de cette mauvaise perception du Soi. Pour en nommer quelques-uns : ne pas ressentir la douleur, avoir une mauvaise perception du temps, avoir de la difficulté à distinguer le soi et l’autre (avoir des frontières personnelles trop souples), ne pas ressentir la gamme complète des émotions, ne pas ressentir la chaleur, avoir besoin de porter des vêtements serrés ou de porter ceux-ci la même couleur unie, ne pas être propre, se gratter jusqu’au sang, faire des sports dangereux, agitation, se masturber en public, etc.

Lorsque notre perception du Soi est mal définie, c’est souvent que certaines parties de soi sont comme engourdies, fragmentées, dissociées. La personne ressent un malaise interne et son organisme tente de réguler ce malaise par toutes sortes de comportements, parfois inoffensifs et parfois socialement inacceptables, voire dangereux pour l’entourage et la personne. Nous aborderons l’exemple de l’automutilation dans la seconde partie.

 

Mélanie Ouimet

 

Références :

[1]Jean-Pierre Yernaux, Naissance et développement du concept de psychomotricité en Belgique francophone, dans Joël Monzée, collectif,soutenir le développement affectif de l’enfant, CARD, 2014

[2]Antonio Damassio, l’erreur de Descartes, ODILE JACOB, 1995

[3]Panksepp, J. (2009). Brain emotional systems and qualities of mental life: From animal models of affect to implications for psychotherapeutics. In D. Fosha, D. J. Siegel, & M. F. Solomon (Eds.), The healing power of emotion: Affective neuroscience, development & clinical practice (pp. 1-26). New York, NY, US: W. W. Norton & Company

[4]Jean-Pierre Yernaux, Naissance et développement du concept de psychomotricité en Belgique francophone, dans Joël Monzée, collectif,soutenir le développement affectif de l’enfant, CARD, 201

[5]Jack Lee Rosenberg, Le corps, le soi et l’âme, QUÉBEC AMÉRIQUE, 3e trimestre 1989

[6]Charles Darwin, L’origine des espèces : Au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisée dans la lutte pour la vie, FLAMMARION, novembre 2008 ;  Polyvagal theory in therapy : engaging the rythm of regulation, Deborah A. Dana and Stephen W. Poges, juin 2018 ; Éric Marlien, Le système nerveux autonome, de la théorie polyvagale au développement psychomatique, SULLY, mars 2018