Éducation et maternelle 4 ans : Interagir plutôt qu’intervenir

« Ce n’est pas signe d’une bonne santé mentale que d’être adapté à une société malade », disait Jiddu Krishnamurti.

 

L’accès universel à la maternelle 4 ans instauré par notre gouvernement actuel suscite de vives réactions. Dans la mêlée des nombreux débats qui opposent les éducatrices en CPE et les enseignants, nous oublions les principaux concernés : les enfants.

Un des principaux objectifs de la maternelle 4 ans est de privilégier de meilleurs services afin de prévenir plus tôt lesdits troubles d’apprentissage, neurodévelopementaux et psychiatriques chez les enfants. En somme, nous visons d’intervenir plus tôt pour optimiser la réussite scolaire. Une noble intention.

En effet, l’enquête québécoise sur le développement des enfants à la maternelle mentionne qu’entre 2012 et 2017, 26% des enfants entrent dans le système scolaire avec un facteur de vulnérabilité dans ces domaines : santé et bien-être, compétences sociales, maturité affective, développement cognitif et langagier et habiletés de communication.

Cependant, nous faisons preuve de violence éducative ordinaire, lorsqu’encore une fois, nous mettons l’emphase sur les troubles et nous préférons mettre en avant plan le dépistage précoce, donc affirmer d’emblée que ce sont les enfants qui ont un trouble quelconque plutôt que de prendre notre part de responsabilité dans les défis de nos enfants, d’adapter l’environnement et de miser sur les véritables besoins de base des enfants; L’attachement, le lien, le contact humain.

Nous négligeons d’une part, la diversité humaine, en standardisant de manière déraisonnable le développement des enfants en sous-entendant qu’il devrait atteindre une normalité souhaitée.

À titre d’exemple, le langage verbal des enfants autistes prototypiques débute, pour la majorité d’entre eux, vers 4-5 ans[1]. Il ne s’agit aucunement d’un retard de développement, mais d’un développement atypique. Quelle intervention allons-nous offrir à ces enfants? Puisque, si nous dépistons très tôt ledit retard de langage chez ces autistes, mettre un accent uniquement sur le développement de leur langage serait aussi ridicule que de mettre l’accent sur le développement de la course chez des enfants de 10 mois.

Ainsi, la neurodiversité n’est pas prise en considération. En commençant par hiérarchiser les enfants entre eux : les « doués », les « normaux » et les « vulnérables » (déficients). Ensuite, plutôt que de favoriser les adaptations, la collaboration, la compréhension et le respect de tout un chacun, nous détruisons la diversité humaine au nom du conformiste, d’une illusion de normalité avec le sentiment d’avoir bien fait. Nous sommes incapables d’adapter l’environnement dans lequel évoluent les enfants, faute de volonté, de mauvaises croyances et de moyens financiers. Les élèves sont en difficultés principalement parce que notre système d’éducation est standardisé et normalisé. Nous n’osons que très rarement remettre en question le mode d’apprentissage ainsi que nos approches envers les enfants. La qualité des services offerts est-elle réellement optimale? Les approches disciplinaires punitives et coercitives sont-elles réellement légitimes? Il semble plus facile d’identifier les défis que rencontrent nos enfants en leur fixant un trouble neurologique, un trouble d’apprentissage et maintenant, desdites vulnérabilités que de se remettre en question, ce qui nous déresponsabilise par le fait même.

D’autre part, nous négligeons notre part de responsabilité dans les difficultés que rencontrent nos enfants. Il est trop facile de blâmer ces enfants, de blâmer leur génétique, de blâmer leur trait de caractère alors que nous ne considérons pas le développement affectif des enfants. Nous mettons un fort accent sur le développement cognitif. Les connaissances sur ce sujet abondent et nous sonnons la sonnette d’alarme dès qu’un enfant ne suit pas le cours « normal » de son développement cognitif. Mais, nous ne savons presque rien sur le développement affectif des enfants, pourtant de base, vital et essentiel à leur épanouissement.

Notre société a des attentes totalement irréalistes du développement affectif des enfants. Nous avons des attentes énormes quant à leur socialisation, à leur maturité émotionnelle, à leur autonomie, à leur habileté en matière de communication de leurs besoins, à leur capacité d’adaptation aux changements, etc. Or, ce sont justement ces attentes qu’un enfant doive se comporter comme un adulte qui engendre souvent des troubles de comportements, des troubles d’apprentissages et des troubles affectifs (trouble d’attachement) chez les enfants[2].

Par ailleurs, ce que nous nommons « troubles » est bien souvent ni plus ni moins que des réactivités émotionnelles normales des enfants, compte tenu leur immaturité cérébrale, avec toute l’intensité qu’elles dégagent. L’enfance se transforme en trouble comportemental et tout ce que nous trouvons de mieux à faire c’est de « prévenir » ces troubles en revendiquant un meilleur accès pour le dépistage précoce! Mais, qui adaptera l’environnement? Qui ira à la source des besoins non compris avant de systématiquement dépister un trouble? Qui donnera du temps aux enfants? Qui offrira une qualité de présence? Qui favorisera l’attachement sécure? Qui accueillera leurs émotions? Qui remplira d’amour et de tendresse le réservoir affectif des enfants?

Tant les parents que les intervenants, spécialistes et la population générale, manque souvent cruellement d’information sur le développement émotionnel des enfants et manque par conséquent d’outils pour bien les accompagner au quotidien. Comme un sondage de la Fédération des syndicats de l’enseignement nous le révélait, « Deux professeurs en adaptation scolaire sur trois avaient vécu une agression physique, verbale ou psychologique de la part d’un élève au cours des deux dernières années[3] ». Cette statistique parle d’elle-même. Nous ressentons le désarroi des enseignants et des autres accompagnants et nous tombons rapidement dans cette dynamique d’enfant-bourreau et d’enseignant-victime. Nous souhaitons « prévenir » plutôt que d’accepter que les débordements émotionnels ainsi que les comportements dérangeants fassent partie intégrante de l’enfance que les comportements sont un langage qui exprime un besoin et d’outiller les adultes accompagnants face à cette réalité.

L’empathie, l’amour et la tendresse sont les carburants des enfants[4]et ainsi, une attitude affectueuse de quiconque accompagnant l’enfant a un impact positif et considérable sur la maturation des lobes frontaux de l’enfant[5]. Le cerveau des enfants est encore immature et le cerveau humain prend plusieurs années avant d’atteindre sa pleine maturité. Les enfants ont besoin d’un cadre sécurisant pour permettre à leur cerveau déployer les connexions neuronales de manière optimale et ainsi leur permettre de s’épanouir pleinement.

Par exemple, les autistes, les doués, les enfants ayant un « TDAH » sont reconnus pour être des personnes très sensibles. Ces enfants sont par conséquent sensibles à leur environnement et ils ont de grands besoins affectifs : leur réservoir affectif se vide plus rapidement que la moyenne. Or, cela n’est jamais pris en considération. L’anxiété, les troubles de comportements, le trouble d’attachement sont souvent présents comme comorbidité chez ces enfants. L’enfant se retrouve avec un trouble et une multitude d’autres souffrances et troubles corrélés. Alors qu’initialement, nous avions un enfant, divergent de la norme, qui présente bien souvent et simplement, des besoins affectifs non assouvis. L’attachement est la base de la sécurité affective et de l’autonomie pour tous les enfants. Sans quoi, le cycle comportemental augmente et l’enfant se retrouve rapidement étiqueté d’agressif, de capricieux, d’opposant, de turbulents, de mal élevé.

On nous parle sans cesse d’intervenir… mais jamais d’interagir! Mettre l’accent sur la relation humaine, le lien de confiance et ainsi créer un espace sécurisant dans lequel l’enfant se sentira libre d’exprimer ce qu’il ressent est gage de réussite.

La vérité est que nous masquons notre incompétence et que nous refusons de prendre nos responsabilités. La vérité est que nous, citoyens responsables, rendons nos enfants vulnérables aux troubles d’apprentissage, à l’anxiété, aux comportements dérangeants, au trouble d’attachement, à l’immaturité émotionnelle[6].

Peut-être que « ces enfants » nous envoient un message : celui de dire non au conformiste d’une société aliénée.

Tant que personne ne se lèvera pour parler ouvertement des besoins affectifs si fondamentaux des enfants, petits et grands, nous assisterons à de la petite politique d’égo alliant « experts » et « spécialistes » qui essaient seulement de parler plus fort les uns comme les autres. Parler des besoins affectifs et émotionnels demande humilité, courage et responsabilisation.

Réclamer des services est un discours cliché de cassette préfabriquée vide de sens tant et aussi longtemps que les besoins de bases ne seront pas comblés et que la diversité humaine ne sera pas reconnue. En ne parlant que de problématiques et en demeurant focaliser uniquement sur les troubles potentiels et sur le dépistage précoce, nous oublions l’essentiel : la relation humaine.

Aucun trouble ne sera prévenu tant et aussi longtemps que nous n’aborderons pas la neurodiversité et ces besoins affectifs fondamentaux de base des enfants. Dans les conditions actuelles, nous craignons que maternelle 4 ans ne soit qu’un beau tremplin vers des surdiagnostics et une médicamentation excessive d’enfants déjà en grande souffrance et il serait déplorable que nous continuions de faire les mêmes erreurs « pour leur bien ».

 

Un texte co-écrit par Lucila Guerrero et Mélanie Ouimet

Références:

[1]Laurent Mottron, l’intervention précoce pour enfants autistes, MARDAGA, 2016

[2]Gabor Maté et Gordon Neufeld, retrouver son rôle de parent, HOMME, février 2005

[3]https://www.tvanouvelles.ca/2018/11/26/il-faut-mieux-repartir-les-eleves-dit-le-ministre-roberge

[4]Isabelle Filliozat, au cœur des émotions de l’enfants, MARABOUT, février 2019

[5]Catherine Gueguen, pour une enfance heureuse, POCKET, mai 2015

[6]Mitsiko Miller, découvrir la parentalité positive, TRÉCARRÉ, 2019

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