Troubles graves du comportement ou mécanismes d’adaptation mal compris? – Partie 1

Troubles graves du comportement ou mécanismes d’adaptation mal compris? – Partie 1

 

La perception du Soi : une piste explicative pour certains comportements dérangeants

 

La perception du Soi est un concept complexe et c’est un long processus qui débute à la naissance avec le contact des autres, puisque la perception de son corps et un sentiment distinct du Soi, est en interdépendance avec l’autre. Jean-Pierre Yvernaux mentionne qu’« à la naissance, notre corps est pris dans un rythme relationnel avec le corps d’autrui. Nous éprouvons notre corps par l’expérimentation du corps d’autrui dans la relation. Nous l’éprouvons aussi à partir de l’expérimentation de notre propre corps avec le temps, l’espace et le monde des objets. [1]» C’est ainsi, dit-il, qu’un dialogue tonique s’installe avec les signaux émotionnels et moteurs de l’adulte qui en prend soin. Le bébé, et ensuite l’enfant construira sa perception du Soi, avec son environnement et lui fera éprouver des sensations internes et externes. Les mouvements émotionnels qui se créent, charge- tension-décharge, construisent petit à petit son enveloppe corporelle et développent ses facultés cognitives. Antonio Damasio démontre par ailleurs le rôle que le corps et les émotions jouent dans le développement de notre intelligence[2]. L’être humain possède des systèmes émotionnels préprogrammés essentiels à la survie[3].

C’est en relation avec l’autre et l’environnement que les émotions surviennent et ce sont les mouvements émotionnels qui éveillent les sensations dans le corps et que la perception du Soi s’installe progressivement. Les émotions permettent la survie de l’individu et de maintenir son intégrité. La construction des circuits neuronaux n’est donc pas la simple résultante d’une biologie prédéterminée : le cerveau n’est pas un système distinct et indépendant de ce que nous éprouvons. Lorsque nous attribuons des troubles purement neurologiques aux comportements, nous omettons cette part importante émotionnelle, donc la charge affective qui a servi à construire ces circuits neuronaux[4] Nous ne pouvons pas modifier le cerveau que par des thérapies cognitivo-comportementales qui ne prennent pas en considération les émotions ou qui en demandent une maitrise par l’individu sans tenir compte de la manière dont sa perception du Soi a été construite au fils des années.

La perception du Soi est clairement définie lorsqu’il y a un équilibre entre les tensions internes et externes. Ils nous arrivent tous à certains moments de se fragmenter et de perdre pour plusieurs raisons, la perception intégrante du Soi. Lorsqu’un bébé ou un enfant subit de la négligence ou de la maltraitance et que ses besoins fondamentaux ne sont pas comblés, lorsque les émotions sont réprimées, lorsqu’une personne subit un grand stress, lorsque nous vivons des émotions fortes, lorsqu’une personne subit un traumatisme, etc., le corps se crispe et le cerveau envoie un message pour couper les ressentis trop intenses. C’est un mécanisme de défense pour la survie commune à tous les êtres humains pour ne plus ressentir l’insupportable souffrance. Quand cela est fait de manière répétée, nous perdons la perception intégrale du Soi et certains défis, plus ou moins graves, peuvent s’installer à court, moyen ou long termes[5] Nous avons tous des défis à ce niveau et pour certains, avoir pleinement conscience de leur corps et du Soi est plus difficile selon les différents événements vécus dans leur vie. Ces défis semblent plus importants pour les autistes possiblement puisque les autistes ont un fonctionnement perceptif préférentiel (Étant des êtres plus perceptifs, ils sont plus facilement envahis par le flot de stimuli qui est plus élevé pour eux que la moyenne des gens. La perception du corps peut être plus difficile à s’installer à la naissance ou en court de route). C’est pourquoi il semble si important d’offrir un environnement bienveillant dans lequel l’enfant autiste pourra s’épanouir sans contrainte inutile de ses gestes, mouvements et jeux libres ainsi que des relations affectives respectueuses de son rythme qui pourront le réguler lors de ces excès plus intenses de stimuli.

Le nerf vague qui unit le cerveau, le corps et l’esprit fait en sorte que nous ressentions des douleurs physiques viscérales lorsque nous éprouvons des émotions fortes et intenses. Le nerf vague communique avec le cerveau, le cœur, les poumons, l’estomac, les intestins, etc. engendre ces douleurs physiques[6]. Plusieurs troubles en santé mentale découlent de cette souffrance physique extrême, que notre cerveau tente de réguler par des mécanismes de défense en passant de la dépendance aux substances à l’automutilation. Il ne s’agit donc pas de comportements liés à une dite maladie mentale, mais bien de comportements physiologiques dont l’excitation (hyper ou hypo) doit être régulée. Pour ce faire, les rapports sociaux se doivent d’être mis au cœur de nos approches. Ne l’oublions pas, l’homme est un mammifère social et son cerveau est construit pour vivre en relation avec les autres. Comme le mentionne Bessel van der Kolk, « si on regarde au-delà de la liste de symptômes qui reçoivent des diagnostics psychiatriques, on s’aperçoit que chaque souffrance psychique ou presque, inclut des difficultés soit à créer des relations stables et satisfaisantes, soit à réguler l’excitation (par exemple chez les gens qui, régulièrement, piquent des crises, se ferment, sont surexcités ou désordonnés). » Ainsi, comme il nous le rappelle également, pouvoir se sentir en sécurité avec les autres est primordial à notre santé mentale.

De nombreux autistes, par exemple, ne ressentent pas la faim, d’autres la douleur physique, d’autres les émotions, etc. C’est comme un engourdissement de leur corps. La douleur est présente dans le corps, mais le cerveau coupe la sensation. Ce n’est pas l’autisme en soi, mais le nombre de mauvaises interventions subies au fil des années par manque de connaissance ont créé plusieurs problématiques en lien avec une mauvaise perception du corps. De grands défis associés à l’autisme découlent donc de cette mauvaise perception du Soi. Pour en nommer quelques-uns : ne pas ressentir la douleur, avoir une mauvaise perception du temps, avoir de la difficulté à distinguer le soi et l’autre (avoir des frontières personnelles trop souples), ne pas ressentir la gamme complète des émotions, ne pas ressentir la chaleur, avoir besoin de porter des vêtements serrés ou de porter ceux-ci la même couleur unie, ne pas être propre, se gratter jusqu’au sang, faire des sports dangereux, agitation, se masturber en public, etc.

Lorsque notre perception du Soi est mal définie, c’est souvent que certaines parties de soi sont comme engourdies, fragmentées, dissociées. La personne ressent un malaise interne et son organisme tente de réguler ce malaise par toutes sortes de comportements, parfois inoffensifs et parfois socialement inacceptables, voire dangereux pour l’entourage et la personne. Nous aborderons l’exemple de l’automutilation dans la seconde partie.

 

Mélanie Ouimet

 

Références :

[1]Jean-Pierre Yernaux, Naissance et développement du concept de psychomotricité en Belgique francophone, dans Joël Monzée, collectif,soutenir le développement affectif de l’enfant, CARD, 2014

[2]Antonio Damassio, l’erreur de Descartes, ODILE JACOB, 1995

[3]Panksepp, J. (2009). Brain emotional systems and qualities of mental life: From animal models of affect to implications for psychotherapeutics. In D. Fosha, D. J. Siegel, & M. F. Solomon (Eds.), The healing power of emotion: Affective neuroscience, development & clinical practice (pp. 1-26). New York, NY, US: W. W. Norton & Company

[4]Jean-Pierre Yernaux, Naissance et développement du concept de psychomotricité en Belgique francophone, dans Joël Monzée, collectif,soutenir le développement affectif de l’enfant, CARD, 201

[5]Jack Lee Rosenberg, Le corps, le soi et l’âme, QUÉBEC AMÉRIQUE, 3e trimestre 1989

[6]Charles Darwin, L’origine des espèces : Au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisée dans la lutte pour la vie, FLAMMARION, novembre 2008 ;  Polyvagal theory in therapy : engaging the rythm of regulation, Deborah A. Dana and Stephen W. Poges, juin 2018 ; Éric Marlien, Le système nerveux autonome, de la théorie polyvagale au développement psychomatique, SULLY, mars 2018

La parentalité bienveillante et la neurodiversité

La parentalité bienveillante et la neurodiversité

« (…) Tant que nous ne deviendrons pas plus sensibles aux souffrances du petit enfant, personne ne prêtera attention à ce pouvoir (celui du parent sur l’enfant), nul ne le prendra au sérieux, et on en minimisera l’importance, car après tout « ce ne sont que des enfants » 

Alice Miller

 

Les neurosciences affectives nous démontrent depuis plusieurs années l’importance qu’une éducation non violente a sur le développement de l’enfant[1]. Le cerveau d’un enfant prend plusieurs années avant d’atteindre sa pleine maturité. Ce sont, entre autres, les interactions avec les adultes, basées sur un lien de confiance, sur l’accueil des émotions, sur l’empathie, qui permettent au cerveau de se développer à son plein potentiel.  

Or, encore aujourd’hui, la violence éducative ordinaire bien présente dans notre éducation est appliquée pour modifier les comportements sans en comprendre la source, et combinée à la surmédicamentation utilisée pour normaliser et pour engourdir les sensations sont devenues des interventions communes, soi-disant pour le bien-être de l’enfant.

C’est à partir de ce constat que le lien entre bienveillance et neurodiversité m’est apparu indéniable comme étant une part non négligeable dans la compréhension des comportements perturbants ou incompréhensibles des enfants ayant un diagnostic. Si cette violence ordinaire est encore banalisée ou ignorée dans notre société en général, elle l’est encore plus, à mon avis, lorsqu’il est question de « troubles neurologiques ». Ces enfants pour qui on utilise cette violence banalisée, voire justifiée sous prétexte d’un trouble neurologique.

On interprète si mal les comportements des enfants!

Il est renversant de constater à quel point les émotions sont effacées dans la société en général, mais encore plus lorsqu’on attribue des troubles neurologiques aux enfants, aux ados, aux adultes. Des comportements, des attitudes, des réactions émotionnelles « disproportionnées » ne deviennent alors que les résultantes d’un trouble auquel on doit se précipiter afin d’y remédier, palier, compenser par des thérapies comportementales et des médicaments.

Dans la société dans laquelle nous vivons, nous avons également de plus en plus tendance à qualifier nos enfants de « difficiles », d’« opposants », d’« impulsifs », d’« hyperactifs ». Nous qualifions également souvent leurs réactions émotionnelles de « disproportionnées », d’« agressives », d’« immatures », de « violentes ».

Nous avons de plus en plus tendance à trouver un sens logique aux comportements en apposant une étiquette de trouble, souvent neurodéveloppemental. Le trouble vient justifier l’intensité et donner un sens à notre désarroi. Par contre, nous tombons rapidement dans le piège d’associer tous les comportements de nos enfants à un symptôme en lien avec leur diagnostic. On parle souvent de comorbidité et de troubles graves de comportements comme faisant partie des conséquences dudit « trouble neurologique ». Alors qu’en fait, les comportements des enfants sont principalement des besoins affectifs non compris et non assouvis ou ces comportements découlent simplement de leur immaturité cérébrale dont on oublie bien souvent.

Compte tenu des récentes découvertes sur les mécanismes de l’épigénétique et des neurosciences affectives, nous ne pouvons plus nier que l’environnement dans lequel l’enfant grandit a une influence majeure sur son développement, possiblement beaucoup plus que ce que nous pouvions le croire initialement. Par exemple, des chercheurs de l’Université McGill et de l’Institut Douglas ont découvert que les traumatismes de l’enfance pouvaient altérer l’ADN et influencer le fonctionnement des gènes[2]. Il y a des conséquences biologiques à la maltraitance durant l’enfance qui peuvent influencer le cours de la vie. Un milieu anxiogène modifie l’expression des gènes rendant la personne moins résistante au stress et plus à risque de suicide. Plus récemment, selon Joël de Rosnay, « Chez les êtres humains, la qualité de relation parents-enfants, notamment le degré d’empathie des parents et leurs réponses aux besoins émotionnels de leurs enfants pourra déterminer des années plus tard l’influence du système parasympathique (qui tempère les fonctions neurologiques inconscientes de l’organisme) conduisant à se sentir calme, bien dans sa peau, heureux. Ce système favorise également la cohérence du rythme cardiaque en permettant une meilleure résistance au stress et à la dépression.[3]»

Dans les modes éducatifs actuels, bien que les punitions soient encore fréquemment utilisées, on utilise énormément des systèmes de récompenses, des renforçateurs, ou encore, on ignore volontairement, comme c’est souvent fait en autisme, quand l’enfant a un « mauvais comportement », comme une crise, un comportement opposant, un geste jugé inadéquat. On croit ainsi agir avec bienveillance et utiliser la punition qu’en dernier recours – lorsqu’on se sent impuissant surtout, admettons-le.

Selon Catherine Gueguen, lorsque l’enfant est stressé par des punitions ou des paroles blessantes, il y a une augmentation de cortisol, hormone du stress, qui détruit les neurones dans certaines structures cérébrales. Également, lorsqu’on fait preuve de violence éducative ordinaire, l’ocytocine est bloquée par notre cerveau, ce qui empêche la détente, l’empathie, l’apaisement et également la capacité de réflexion et de mémorisation[4]. Nous sommes ainsi bien souvent responsables, bien involontairement certainement, des « troubles de comportements » et des difficultés affectives de nos enfants.

Par exemple, les autistes, les doués, les enfants ayant un « TDAH » sont reconnus pour être des personnes très sensibles. Ces enfants sont par conséquent sensibles à leur environnement et ils ont de grands besoins affectifs : leur réservoir affectif se vide plus rapidement que la moyenne. L’anxiété, les troubles de comportements, le trouble d’attachement sont souvent présents comme comorbidité chez ces enfants. L’enfant se retrouve avec un trouble et une multitude d’autres souffrances et troubles corrélés. Alors qu’initialement, nous avions un enfant, divergent de la norme, qui présente bien souvent et simplement, des besoins affectifs non assouvis. L’attachement est la base de la sécurité affective et de l’autonomie pour tous les enfants. Sans quoi, le cycle comportemental augmente et l’enfant se retrouve rapidement étiqueté d’agressif, de capricieux, d’opposant, de turbulents, de mal élevé…

 

 

Mélanie Ouimet

Références:

[1]Pour une enfance heureuse, Catherine Gueguen, POCKET, mars 2015

[2]Epigenetic regulation of the glucocorticoid receptor in human brain associates with childhood abuse, Patrick O McGowan, Aya Sasaki, Ana C D’Alessio, Sergiy Dymov, Benoit Labonté, Moshe Szyf, Gustavo Turecki, Michael J Meaney (2009). Nature Neuroscience, 12 (3), 342-348

[3]La symphonie du vivant, Joël de Rosenay, LLL les liens qui libèrent, 2018

[4]Pour une enfance heureuse, Catherine Gueguen, POCKET, mars 2015