FREUD ET LE CONCEPT D’OEDIPE

FREUD ET LE CONCEPT D’OEDIPE

Petite histoire sur la création de cette théorieDans les année 1880-1890, un syndrome appelé hystérie était devenu un point central d’investigations sérieuses.Qu’est-ce que l’hystérie?A l’époque, il s’agissait d’un terme courant pas vraiment défini. Une drôle de maladie aux symptômes incohérents et incompréhensibles réservés strictement aux femmes. Le mal prenait donc origine dans l’utérus, d’où le nom hystérie.Le père de l’étude sur l’hystérie était Martin Charcot. Ces études étaient réalisés à la Salpêtrière, un complexe antique hospitalier qui avait servi d’asile. Les patientes étaient des jeunes femmes qui allaient y trouver un refuge pour échapper à la violence, à l’exploitation et aux viols. Elles avaient la protection et elles devenaient en quelques sortes, des célébrités grâce aux démonstrations de Charcot. Avant Charcot, ces femmes étaient considérées comme des fausses malades, quelle avancée! Charcot démontrait que l’hystérie était une grande névrose pour laquelle les symptômes ressemblaient à des lésions neurologiques: paralysie motrice, pertes sensorielles, convulsions, amnésie. Pour ensuite démontrer que ces symptômes étaient psychologiques.Charcot n’avait aucun intérêt pour la vie antérieur de ces femmes. Les émotions, les cris et autres étaient considérés comme « rien ».Freud et Janet étaient deux disciples de Charcot, avec l’ambition d’aller plus loin. Ces deux rivaux ont trouvé qu’il n’était pas suffisant d’observer froidement les patients : il fallait leur parler. Ainsi, leurs recherches, en France pour Janet et à Vienne pour Freud et son collaborateur Breuer, aboutissent à la même conclusion. L’hystérie est causé par un traumatisme psychologique. Des émotions émotionnelles insupportables liés à des événements traumatisants provoquaient un état de conscience modifiée. La dissociation, nommé par Janet. La double conscience, nommé par Freud.Freud et Breuer mentionnaient que les hystériques souffraient essentiellement de réminiscences. Ils découvraient que les symptômes de l’hystérie pouvaient être soignés quand les mémoires traumatiques et les émotions intenses qui les accompagnaient étaient retrouvés et mise en mots. C’est la base de la psychologie moderne. Et Freud nommera plus tard : psychanalyse. Alors que l’une de ces patientes Anna O. le nomma: guérison par la parole.Nous sommes alors dans le milieu des années 1890 !!Freud alla plus loin et suivi le fil conducteur des récits des femmes, ce qui le mena inévitablement à explorer leur vie sexuelle. Freud arrivait de l’école de Charcot et il était impensable que la sexualité puisse être liée à leurs symptômes. C’était une forme d’insulte! Or, ces patientes lui parlaient encore et encore d’agressions sexuelles, de maltraitance et d’inceste. En remontant le fil de leur mémoire, Freud et ses patientes découvraient des événements traumatisants majeurs vécus durant l’enfance dissimulés dans des expériences plus récentes. En 1896, Freud était convaincu d’avoir trouvé la source de l’hystérie.Dans « Étiologie de l’hystérie », il affirma que « j’avance par conséquent la thèse selon laquelle à la base de chaque cas d’hystérie il y a une ou plusieurs occurrences d’une expérience sexuelle prématurée, lesquelles occurrences remontent aux premières années de l’enfance (…). Je crois que ceci est une découverte importante, la découverte d’un Caput Nili de la neuropathologie. »Plus d’un siècle plus tard, cette publication demeure brillante et argumentée n’ayant rien à envier aux publications actuelles sur les effets de la maltraitance sexuelles sur les enfants.Ce qui aurait du être une énorme contribution dans le domaine du traumatisme marqua plutôt la fin de cette voie d’exploration.Freud était de plus en plus troublé par les témoignages de ces patientes. L’hystérie était si répandue parmi les femmes que si ces histoires étaient vraies et que sa théorie était juste, il serait obligé de déduire que ce qu’il nommait « des actes pervers contre des enfants » était quelque chose d’endémique ! Cette violence était répandue non seulement dans le prolétariat de Paris, mais aussi parmi les familles respectables de la bourgeoisie de Vienne. Cette idée était tout à fait inacceptable et intolérable!Face à ce dilemme, Freud arrêta d’écouter ses patientes. Dans son dernier suivi, il reconnaissait le vécu émotionnel de sa patiente mais, il explora le sentiment d’activation érotique de sa patiente, comme démonstration de la satisfaction de ses désirs.Suite à cette fermeture, les patients ont été plus d’un siècle à affronter encore le silence et le mépris – et c’est encore le cas aujourd’hui!Ces sur ces ruines de la théorie de l’hystérie que la psychanalyse fut créé, sur la négation de la réalité des femmes. La psychanalyse devint l’étude des vicissitudes intérieures du fantasme et du désir, dissocié de la réalité de l’expérience. Au début des année 1900, Freud conclut que les récits d’abus sexuels durant l’enfance de ses patientes hystériques n’étaient pas véridiques : « J’ai fini par être obligé d’admettre que ces scènes de séduction n’avaient jamais eu lieu, et qu’elles n’étaient que des fantasmes que mes patientes avaient construits. »L’étude du traumatisme psychologique s’arrêta.La théorie du complexe d’Oedipe a été élaboré par Freud qui était dans un déni rigide et profond de la réalité des violences sexuelles faites sur des enfants. Il désavoua ses patientes. Il insista sur le fait que les femmes imaginaient et souhaitaient les rencontres sexuelles abusives dont elles se plaignaient.À l’époque, Freud était face a un challenge extrême. Persister avec sa théorie d’origine signifiait reconnaître les profondeurs de l’oppression sexuelle des femmes et des enfants. Cela dépassait les limites de la crédibilité sociale. Sa première publication sur l’étiologie de l’hystérie a été accueilli par un silence fort de ses pairs. Aussi convainquant soit-il, sa découverte n’aurait jamais pu être accepté socialement dans ce contexte politique.Les convictions politiques étaient fortes. Son ambition professionnelle également. Il était plus aisé de développer une théorie du développement humain dans laquelle l’infériorité et la fausseté des femmes étaient des points de doctrines. Dans un tel contexte politique anti-féministe, le succès aura été fulgurant- avec les conséquences et répercussions que nous savons et vivons encore aujourd’hui.Encore aujourd’hui, que ce soit via une psychanalyse archaïque et ici, via une parentalité comportementale, sa théorie vit dans notre société avec toutes sortes de croyances sur le développement de l’enfant, la parentalité, les violences éducatives et pire, les violences sexuelles et les traumatismes.Ces informations historiques sont encore difficiles à trouver aujourd’hui, en 2024. L’oppression, le défi, les politiques et le contexte social pèsent énormément pour que le tabou des traumatismes – pas seulement sexuels – demeurent.

 

Mélanie Ouimet, fondatrice du mouvement francophone de la neurodiversité et co-chercheuse en autisme ———————————————-Pour aller plus loin :*Anna O. Sous son propre nom Bertha Pappenheim-Judith Lewis Herman-Breuer et Freud, Studies on hystériques-Freud, lettre à Wilhelm Fliess, du 4 mai 1896-Masson, Assault on Truth

Hausse de prise d’antidépresseurs chez les jeunes de moins de 14 ans

Hausse de prise d’antidépresseurs chez les jeunes de moins de 14 ans

Le 7 février dernier, les données de la régie d’assurance médicaments du Québec (RAMQ) nous apprenait que la consommation d’antidépresseurs chez les enfants de moins de 14 ans avait fait un bon de 28% au cours des deux dernières années. Lorsque nous regardons d’un peu plus près, les moins de 4 ans ont connu une hausse de 85%, les 5 à 9 ans, une hausse de 14% et les 10-14 ans une hausse de 31%.

Bien sûr, cette tendance à la médicalisation de l’enfance été déjà bien présente avant la pandémie. C’est d’ailleurs une des principales raisons pour lesquelles je m’implique autant dans le domaine et que j’ai initié le mouvement de la neurodiversité dans la francophonie. Cependant, cette hausse fulgurante demeure particulièrement inquiétante. La tangente que prend la pandémie ne présage rien de constructif et de créatif pour améliorer la santé psychologique et physique de nos enfants. Au contraire, nous semblons y trouver une certaine normalité et un certain confort à médicaliser les émotions de nos enfants.

Avons-nous seulement conscience de ce que nous faisons avec nos enfants?

Que souhaitons-nous transmettre à nos enfants? Que la solidarité et l’altruisme est d’être soi-même en souffrance? Que la collectivité est plus importante que leurs besoins de base fondamentaux? Qu’ils doivent ignorer leurs émotions et leurs besoins. Qu’ils doivent taire leur détresse? Qu’ils doivent prendre des médicaments lorsqu’ils sont en souffrance?

Bien que la médication puisse avoir une portée positive à court terme dans certaines situations urgentes, la médication a des conséquences sur la santé physique et psychologique des jeunes. Ce sont des médicaments puissants que nous proposons à de très jeunes enfants. Cette médication a un impact sur le développement de leur cerveau et entrave son développement normal. La maturation cérébrale ralentit et dans certains cas, la maturation s’éteint complètement dans certaines régions. C’est la réalité de la médication psychiatrique chez les jeunes qui ont un cerveau en plein développement. Imaginons les conséquences désastreuses sur des enfants à peine âgés de 3 ans.

En plus de la médication qui empêche la croissance de leur cerveau, l’environnement dans lequel ils grandissent depuis 2 ans va à l’encontre de leur développement affectif et social. L’environnement impact également la croissance cérébrale. Nos enfants vivent en situation de stress chronique depuis des mois. Le stress chronique est toxique pour leur cerveau en développement. Leurs besoins fondamentaux ne sont pas comblés et pire, les mesures sanitaires qui leur sont imposées freinent leur élan de vie. Nos enfants s’éteignent. Ils meurent de l’intérieur.

 

Nos enfants ne sont pas malades. Nos enfants ne souffrent pas de maladies mentales. Nos enfants évoluent dans un environnement qui ne répond pas à leurs besoins fondamentaux et qui est donc incompatible avec leur développement. Leur environnement actuel brime et réprime leur développement naturel et spontané. Leur cerveau et leur corps entier réagissent à cet environnement inadapté. Nos enfants ne peuvent plus d’adapter à leur environnement et leur cerveau tire la sonnette d’alarme. Le message est clair : ça ne va pas, mes besoins fondamentaux ne sont pas comblés, aide-moi.

Faute de ressources sociales et faute de pouvoir modifier leur environnement, nous médicalisons leurs émotions et leurs besoins. Nous les engourdissons et les droguons en espérant qu’ils ne ressentent plus leur grande souffrance et qu’ils guérissent. Or, comment cela pourrait-il être possible si leurs ressentis sont engourdis et que l’environnement dans lequel ils continuent d’évoluer leur fait violence quotidiennement?

Ces enfants ont besoins de contacts physiques et de lien d’attachement. Ils ont besoin de se sentir respectés, en sécurité, libres. Ils ont besoin d’exprimer leur spontanéité et leur créativité. Ils ont besoin de bouger sans restriction. Ce ne sont pas des caprices ni de l’égoïsme. C’est la nature profonde des enfants.

Nous souhaitons que nos enfants fassent preuve de solidarité et d’altruisme. Nous souhaitons qu’ils puissent vivre en collectivité et qu’ils puissent avoir conscience de leur interdépendance avec autrui et la nature qui les entoure. Cependant, actuellement, nous leur apprenons à s’effacer, à se résigner, à s’oublier. Nous leur apprenons qu’ils ne sont pas importants et qu’ils n’ont pas de valeur. Nous leur apprenons que leurs besoins sont superficiels. Nous leur apprenons qu’il faille souffrir à en mourir de l’intérieur pour préserver les autres. Nous leur apprenons que la seule manière de fonctionner dans une société collective est de s’éteindre, paradoxalement pour le bien-être et la santé de celle-ci.

Nous souhaitons que nos enfants soient « bien élevés » et qu’ils fassent preuve d’empathie. Paradoxalement, nous sommes collectivement en train de détruire leur cerveau et malheureusement, leur faculté innée d’empathie ne se développera pas.  En effet, pour se développer, le cerveau d’un enfant a besoin de conditions favorables. C’est tout le contraire de ce qui se passe actuellement.

Comment pouvons-nous espérer que nos enfants développent leur faculté d’empathie si nous ignorer leurs besoins de bases, leurs émotions et que nous les engourdissons? Comment pourront-ils ressentir? Comment pourront-ils se connecter à autrui et ressentir les émotions pour faire preuve d’empathie? Entre autres, les neurones miroirs ne s’activeront pas convenablement puisqu’elles n’auront pas eu la chance de se déployer. Si nous ne leur offrons pas d’eau, pas de lumière, pas de terreau fertile, comment pouvons-nous espérer qu’ils se développent sainement?

Notre jeunesse, c’est un grand enjeu de santé publique et c’est maintenant que nous devons agir.

 

Mélanie Ouimet

Avons-nous si peur du vécu humain?

Avons-nous si peur du vécu humain?

Il est par exemple facile de confondre la « maladie mentale » avec des défis psychologiques normaux. « La détresse quotidienne transformée en trouble mental représente la réalisation d’un rêve pour le marketing. La puissance du marketing des sociétés pharmaceutiques, de l’internet et des organisations de patients ont engendré un nombre de fausses épidémies, de modes en matière de diagnostics psychiatriques » a déclaré Allen Frances, psychiatre et président des comités de travail du DSM-IV.

 

Dans les faits, qu’est-ce qu’une maladie mentale? Le DSM-V définit la maladie mentale comme étant« un syndrome caractérisé par des perturbations cliniquement significatives dans la cognition, la régulation des émotions, ou le comportement d’une personne qui reflètent un dysfonctionnement dans les processus psychologiques, biologiques, ou développementaux sous-jacents au fonctionnement mental ».

Pour établir sa validité, une maladie doit présenter des signes, des symptômes qui se retrouvent de façon régulière, et ils doivent être liés à une dysfonction physiologique démontrable.

Rappelons que tout diagnostic psychiatrique est subjectif. Les théories dominantes des dernières années sont principalement basées sur des déséquilibres des neurotransmetteurs. Mais, nous sommes toujours en quête de dysfonctionnements cérébraux, de gènes, de neurotransmetteurs permettant d’expliquer objectivement des symptômes donnés. Aucun marqueur biologique ou génétique pour lesdites maladies n’a été découvert. Toutes théories à l’heure actuelle ne sont encore que des théories, des idées, des perspectives non scientifiquement démontrées.

Les diagnostics et la médicamentation subséquents qui sont émis sont-ils alors basés strictement sur la science ou sont-ils plutôt le reflet de ces nombreux biais sociétaux, émotifs, contextuels, financiers ?

Qui parle de maladie et de trouble neurologique devrait donc le faire avec grande prudence, sans quoi, nous risquons de stigmatiser la diversité humaine ET de réduire la souffrance, les émotions humaines, à des déséquilibres chimiques du cerveau.

Et là, il ne s’agit pas d’affirmer que ce qui n’est pas scientifiquement prouvé n’existe pas. Les signes, les traits, les troncs communes de diversité humaine sont présents et ils existent. La souffrance humaine existe également. Il y a des signes, des critères, des symptômes identifiables et ressentis. Il ne s’agit aucunement de crier à l’acceptation de la diversité neurologique et de laisser un être humain dans la souffrance de sa singularité lorsqu’il n’est pas compris de son entourage. Il ne s’agit ici aucunement de nier ni de banaliser l’énorme souffrance que vivent ces personnes. Les symptômes et la souffrance sont bien réels. Mais, il s’agit d’un appel à la prudence et d’un appel à l’ouverture d’esprit, à l’écoute, à la réflexion. Quels impacts avons-nous sur les « maladies mentales »? Se pourrait-il que nous ayons une part de responsabilité culturelle et sociale sur les symptômes de certaines « maladies » ou des troubles de comportements qui en découlent?

Pour ma part, je suis toujours étonnée et touchée, lorsqu’à la suite de la lecture de mon premier livre sur l’autisme, des gens m’écrivent des messages pour me parler de leur détresse. Des messages spontanés où l’émotion est palpable. Des messages où l’on perçoit le mal de vivre avec un certain soulagement de se sentir enfin compris. Ce n’est pas normal que la diversité humaine ainsi que la détresse qui en découle soit aussi méprisée, dénigrée, troublée, médicalisée. Ce n’est pas normal que, collectivement, nous préférons croire en la maladie mentale, aux troubles neurologiques  plutôt que de prendre le temps d’écouter et comprendre l’être humain.  Aucun être humain ne mérite d’être étiqueté « malade mental » et de voir sa douleur réduite à un déséquilibre de ses neurotransmetteurs.

En utilisant un discours médical démesurément, on est devenu de plus en plus intolérants et insensibles à la détresse humaine. Il est devenu plus facile de faire croire aux personnes qu’elles ont un trouble et que les médicaments stabiliseront leur cerveau dysfonctionnel. Que la molécule chimique ne soit simplement pas la bonne pour leur profil génétique lorsqu’en réalité, la détresse n’arrive plus à être engourdie par cedit médicament.

Avons-nous si peur du vécu humain? Parce qu’au travers ces brides de confidences que m’écrivent ces personnes, pas une fois leur mal de vivre ne semblait ne pas trouver racine et émerger de leur vécu, de leurs blessures, bien plus que dans une pseudo affection mentale. On attribue à la personne, à son cerveau dysfonctionnel, ses émotions démesurées et ses comportements irrationnels plutôt que de concevoir ces agissements comme des réponses attendues et normales par rapport aux circonstances sociales et de son histoire de vie. La médicalisation des étapes normales de la vie, des conflits intérieurs et de la détresse semble être le résultat d’une société qui n’a aucune idée de comment accueillir les émotions humaines et qui semble surpassée par des étapes normales de développement de la vie, par la relation humaine authentique.

Il est donc très délicat d’attribuer les causes des « maladies mentales » qu’à la neurologie et/ou à la génétique défaillante. Se focaliser essentiellement sur des « causes » biologiques pour les troubles mentaux est une grave erreur. D’une part, la diversité neurologique semble rejetée et les individus atypiques, comme les autistes, sont ainsi stigmatisés. D’autre part, on ne peut pas séparer la biologie des comportements et des émotions qui forment un tout, sans risquer de réduire la souffrance d’un être humain à un cerveau déréglé et troublé.

 

Mélanie Ouimet

Extrait de la conférence : La neurodiversité, plaidoyer pour la diversité humaine et pour son avenir

Troubles graves du comportement ou mécanismes d’adaptation mal compris? – Partie 2

Troubles graves du comportement ou mécanismes d’adaptation mal compris? – Partie 2

Des mécanismes d’adaptation pour tempérer des sensations corporelles intenses

 

Lorsque les sensations corporelles intenses sont engourdies ou que la perception du Soi éclate en mille morceaux plusieurs mécanismes d’adaptation se mettent en place instinctivement par le cerveau pour tempérer le malaise interne ressenti par la personne.

Par exemple, quand une personne se gratte jusqu’au sang, cela peut être pour diminuer l’engourdissement qu’elle ressent. Elle ne sait pas nécessairement pourquoi elle le fait ni même comment elle se sent. C’est un mécanisme instinctif et qui apaise la personne. Aussi étrange que cela puisse paraître, l’automutilation apporte souvent un grand soulagement à la personne. La personne veut ressentir, et pour contrecarrer son engourdissent, son mécanisme de survie est de se gratter pour ressentir et se sentir à nouveau en vie.

Nous retrouvons similairement ce même mécanisme de survie lors d’un épisode d’effondrement. Lorsque certains autistes par exemple reçoivent trop de stimuli, leur cerveau est sous tension. Quand l’anxiété est si forte et que la personne est coincée, sans possibilité de « lutter » ou de « fuir », elle se retrouve immobile et prise au piège devant une situation qui échappe à son contrôle. L’anxiété devient paralysante, le cerveau coupe les sensations ressenties dans le corps et la perception du Soi disparait progressivement. L’amygdale s’active et déclenche la sécrétion d’hormones qui activent à leurs tours les mécanismes de survies. À ce moment, la réflexion et le recul sont impossibles. Le cortex préfrontal est déconnecté pour privilégier l’instinct : le mode survie domine. La fragmentation, cette impression que tout s’effondre autour de soi, est un mécanisme de protection que notre cerveau utilise pour se protéger et il est essentiel à notre survie[1].

Comme le cerveau des autistes a un fonctionnement perceptif prépondérant, la fragmentation est possiblement beaucoup plus fréquente que pour les non-autistes. En autisme, on parle alors de repli autistique et d’effondrement autistique. Ces deux états de crise sont provoqués par des surcharges émotionnelles, cognitives, relationnelles et sensorielles. Le flot informatif (les stimuli) est beaucoup plus important puisque les aires sensitives sont sur-connectées. Plus une personne reçoit des stimuli, plus le stress augmente. Puisque le cerveau des autistes perçoit beaucoup plus de détails, la fragmentation devient vraisemblablement plus intense. Les autistes sont des êtres hypersensibles à tous les stimuli internes et externes.

Les personnes qui s’automutilent cherchent désespérément à se sentir mieux et elles n’arrivent pas à gérer autrement cette souffrance qu’elles éprouvent. L’automutilation est un mécanisme d’adaptation négatif. Pour certaines personnes, les comportements d’automutilation surviennent lorsque des sensations trop intenses sont ressenties dans leur corps et les blessures infligées sont souvent représentatives de sa détresse. En plus, l’automutilation est particulière chez les autistes. Ainsi, tel qu’on peut le lire dans un jugement du Tribunal canadien des Droits de la personne, « Selon le DrLaurent Mottron, les blessures auto-infligées sont la réponse la plus extrême à une impasse psychologique pour laquelle il n’y a aucune solution. Il s’agit d’une réponse à la désorganisation du monde. C’est une façon pour une personne autiste de répondre aux situations négatives, alors qu’une personne qui n’est pas autiste démontrera de la colère». Selon la même source, Laurent Mottron affirme que « les personnes autistes apprennent comment gérer leurs réactions en se fiant, par exemple, à un endroit sécuritaire où elles peuvent aller, où elles peuvent s’éloigner de situations stressantes et qu’il est alors possible pour les autistes de composer avec des événements très difficiles, même si ceux-ci provoquent de fortes réactions. Il souscrit aussi à la déclaration selon laquelle« si une personne autiste sait qu’elle peut avoir recours à son mécanisme d’adaptation dans une situation de stress, il devient alors peu probable, et même improbable, qu’elle se trouvera en situation de difficulté.» Pour contrer la sensation de confusion profonde qui habite la personne, pour contrer l’impression que l’esprit vole en mille éclats et pour demeurer ancrée dans le moment présent en conservant un certain contrôle de la situation, la personne autiste (comme non-autiste) peut se frotter vivement les mains ensemble ou sur les cuisses jusqu’à se frapper la tête. Au niveau physiologie, la stimulation cutanée tempère le stress et l’anxiété[2] et c’est d’ailleurs ce que suggère l’acupression[3]. Plusieurs points de relaxation sur notre corps peuvent être touchés en cas de crises d’anxiété et de panique afin de calmer nos amygdales et détendre nos muscles. Lorsqu’on brime une personne de ces gestes pour calmer son anxiété, celle-ci augmente et se transforme en angoisse et l’état de fragmentation augmente. La tête particulièrement est le dernier endroit que le corps ressent quand il est en état de détresse profonde[4]. Ainsi, se frapper à cet endroit devient nécessaire pour tempérer l’angoisse insoutenable et pour se ramener dans le moment présent. C’est un mécanisme de survie naturel et instinctif, mais non sans risque lorsque ce mécanisme est incompris et que les approches sont mal adaptées[5].

Dans tous les cas, il est possible de travailler à obtenir une meilleure perception de son corps et du Soi en ayant une approche psychodynamique de l’être humain et de considérer le mouvement, les rythmes, les actions et les sensations. Le mouvement par exemple aide à mieux sentir son corps. D’ailleurs, une émotion est un mouvement physiologique dans le corps et c’est donc par le mouvement qu’elle s’exprime et « s’évacue du corps ». Lorsque les émotions ne sont ni verbalisées ni extériorisées par le mouvement, le corps demeure sous-tension : la charge émotionnelle demeure dans le corps puisqu’elle n’a pas pu être déchargée. Lorsque les charges émotionnelles s’accumulent, le corps devient en permanence sous tension et nous avons de plus en plus de difficulté à identifier nos émotions puisque nous éprouvons de moins en moins nos sensations et nous perdons la perception intégrale du Soi et le sentiment de nous sentir pleinement vivant. Les mécanismes innés et instinctifs de survie sont enclenchés afin d’enrayer le malaise interne que la personne ne peut nommer et identifier seule et de maintenir un certain équilibre de l’organisme. C’est de cette manière que plusieurs comportements perturbants peuvent survenir, allant de la simple bougeotte jusqu’à la masturbation en public. Le comportement compense le malaise. Pour ces raisons, il est toujours primordial de comprendre le sens et de trouver la racine profonde du comportement si nous souhaitons véritablement aider la personne et favoriser son autonomie et son indépendance. Il est trop facile d’attribuer ces comportements à un simple caprice, à de la manipulation ou à un trouble neurologique immuable.

Les approches psychodynamiques prennent en considération l’être humain dans son intégralité et tiennent compte autant de la neurologie, de la biologie, de la physiologie de l’être humain pour comprendre les comportements sans les réduire à de simples déséquilibres cérébraux. Il devient alors possible, dans un environnement chaleureux, bienveillant, empathique, de créer un espace sécuritaire qui permettra à la personne aux prises avec des comportements dérangeants et une souffrance corporelle et psychique de mieux ressentir ses sensations, de libérer ses tensions accumulées et ainsi d’avoir une meilleure perception du Soi[6]. Le mouvement (jouer librement pour les enfants), la respiration profonde, le yoga, la méditation, l’acupuncture, la pleine présence sont entre autres des méthodes à explorer qui permettent de calmer les amygdales du cerveau, d’être mieux ancré dans le moment présent et de prendre conscience des sensations éprouvées dans notre corps.

 

Mélanie Ouimet

Références :

[1] http://neurodiversite.com/effondrement-autistique-et-automutilation/

[2]Joël Monzée, collectif Neurosciences et psychothérapie, convergences ou divergences?, LIBER, 2009

[3]Bessel van der Kolk, Le corps n’oublie rien, le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme, ALBIN MICHEL, édition française 2018

[4] Jack Lee Rosenberg, Le corps, le soi et l’âme, QUÉBEC AMÉRIQUE, 3e trismestre 1989

[5]Mélanie Ouimet, Les neurosciences sociales et affectives : l’union entre sciences cognitives et psychothérapie?, dans la neurodiversité, plaidoyer pour la reconnaissance positive diversité humaine et pour son avenir, édition France, PARENTS ÉCLAIRÉS, septembre 2019

[6]Bessel van der Kolk, Le corps n’oublie rien, le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme, ALBIN MICHEL, édition française 2018